Christine McVie, passion simple

Elle a été l'une de celles qui m'ont montré qu'il était possible d'être une singer-songwriter et musicienne accomplie, respectée même au sein d'un groupe de mecs, sans pour cela devoir jouer les séductrices ou les ingénues. Une vraie madame à l'humour british décapant, forte, franche, éternelle amoureuse, qui a écrit une impressionnante palette de belles chansons.

Je trouve toujours un peu couillon de pleurer la disparition de gens célèbres qu'on ne connaissait pas personnellement, et qui ne vont donc pas nous manquer pour de vrai. Surtout s'ils ont près de 80 balais. Apprendre le décès de Christine McVie m'a fait un choc parce que j'avais partagé une de ses chansons la veille et passé l'après-midi à parler d'elle sur Facebook au lieu d'abattre le travail pour lequel on me rémunère, mais ne m'a pas rendue tellement triste. Juste un peu pour Stevie, qui vient de perdre sa meilleure amie sans avoir pu lui rendre visite une dernière fois à l'hôpital.

Les Feux de l’amour

À une période de ma vie, je me suis plongée dans l'océan qu'est l'histoire, passionnante et pleine de rebondissements, de Fleetwood Mac (que je ne détaillerai pas ici, l'ayant déjà fait ailleurs). J'ai tellement lu sur eux, écouté les disques, chanté leurs chansons, étudié les paroles en faisant des conjectures pour savoir de qui ça parlait, que j'ai l'impression que ces musiciens sont devenus des potes. Un peu comme les personnage d'une série TV qui n'en finit pas.
Je suis venue au Big Mac grâce à Courtney Love et au journaliste américain Chuck Klosterman. La première, même en pleine scène grunge, n'a jamais caché être une fan absolue. C'est également le cas de musiciennes comme Louise Post (Veruca Salt) ou Bethany Cosentino (Best Coast) – pas des meufs qui se contentent de faire tapisserie. Klosterman, mon philosophe préféré, m'a poussée à acheter Rumours en évoquant, dans son livre Sex, Drugs and Cocoa Puffs, la superposition de drames amoureux qui avait coïncidé avec l'enregistrement de cet album.
J'ai eu bien du mal à m'habituer à la production feutrée, FM, qui m'a d'abord inspiré un violent mouvement de recul. L'inverse de quand je me suis mise à aimer le Velvet, d'abord rebutée par le son brouillon, puis finissant par entrer dans les chansons.

À la Maison-Blanche

Écouter Fleetwood Mac, du moins en France, n'est pas cool. Un journaliste connu avouait aujourd'hui que Rumours était son “péché mignon” – faut pas déconner, c'est pas non plus Maître Gims, on ne devrait pas avoir honte d'aimer un groupe composé de super musiciens qui font de magnifiques chansons, même si au niveau street cred’ c'est pas ça.
Je ne suis pas de ceux qui attendent que la presse ou leurs potes leur dictent quelle musique on se doit d'aimer ou de détester. L'été 2008, lorsque je prenais le bus pour me rendre aux séances d'enregistrement de mon premier album, j'ai pris l'habitude d'écouter Rumours dans l'iPod pour me donner du courage car j'étais terrifiée de me retrouver en studio. Je m'accrochais à “Don't Stop” en me disant que l'avenir me réservait de bonnes choses, si seulement j'avais le cran d'y aller, de jouer mes trucs et, pire encore, chanter mes paroles devant un ingénieur du son à qui je ferais forcément perdre son temps – j'avais la bêtise de croire que le disque que je fabriquais changerait quelque chose à ma vie (cette croyance absurde est, hélas, aussi tenace qu'une mouche à merde, on a beau la chasser à grands coups de tapette, s'énerver, lui hurler dessus, rien à faire, elle revient à chaque album ou EP).
J'ignorais alors que “Don't Stop” avait été l'hymne de la campagne qui avait mené Bill Clinton à la Maison-Banche. Pour l'anecdote, le futur président aurait un jour pris un taxi et confié au chauffeur son intention d'entrer en campagne. À ce moment, l'autoradio diffusait “Don't Stop”, et le bon taximan lui aurait suggéré d'utiliser ce tube imparable, à l'origine composé par Christine McVie pour son futur ex-mari, John McVie, qui supportait mal le divorce. Cette chanson est le plus beau cadeau de rupture que l'on puisse faire – rappelons qu'elle a quitté John car il était alcoolique et qu'en outre, la picole le rendait méchant. Elle lui dit qu'il est peut-être triste maintenant, mais qu'elle ne demande qu'à le voir sourire à nouveau, il faut juste qu'il cesse de penser au passé et se tourne vers l'avenir, qui sera meilleur. Une vraie chanson d'espoir, que je joue de temps en temps toute seule, chez moi, pour me remonter le moral.
Car oui, Christine savait écrire des chansons. C'est sans doute ce qui a fait la force (et l'immense succès) de Fleetwood Mac : trois singer-songwriters, dont deux femmes. Diversité des voix, des instruments et des styles de composition. Richesse de l'ensemble, car ils savaient arranger les morceaux les uns des autres, sans parler des harmonies vocales à faire enrager Art Garfunkel lui-même.

Christine et les garçons

Pianiste de formation classique, Christine Perfect, de son nom de jeune fille, a commencé par étudier l'art, en particulier la sculpture, avant de se prendre de passion pour le British Blues Boom et de devenir organiste du groupe Chicken Shack, dont elle a composé le premier single et la moitié des morceaux des deux albums. Elles n'étaient pas nombreuses à jouer dans des groupes de rock, en 1968, les filles. On trouvait bien, par-ci par-là, une chanteuse qu'on collait là pour faire joli et chanter les morceaux écrits par d'autres, mais peu de vraies musiciennes – lorsqu'elles l'étaient, comme Françoise Hardy, on leur retirait leur instrument sur scène (c'est encore arrivé, il n'y a pas si longtemps, à Amy Winehouse qui n'avait pas qu'une voix et une descente exceptionnelles, mais était également très bonne guitariste, ne parlons pas de ses compositions… mais ce qu'on retiendra ce sera, encore et toujours, la voix, le look et le fait qu'elle n'ait pas voulu aller en rehab alors que, franchement, ça n'aurait pas été une si mauvaise idée).
À Londres, Chicken Shack jouait dans la cour des Bluesbreakers de John Mayall et du Peter Green's Fleetwood Mac, dont Christine était grande admiratrice. À force de partager la scène ou l'affiche de petits festivals de blues, une chose amenant l'autre, elle s'est mise à fricoter avec le bassiste John McVie – de façon assez intense pour qu'ils finissent par se marier. Quelle idée, me direz-vous. Mais autres temps, autres mœurs, et puis elle en avait peut-être marre de s'appeler Perfect, ça ne doit pas être facile à porter (notez qu'un duo avec Marianne Faithfull ça aurait claqué, niveau patronymes). Après son divorce, elle a en tout cas tenu à garder McVie.
Une fois mariée, elle quitte Chicken Shack, peut-être avec l'intention de se mettre au tricot et pondre des mouflets mais je n'en sais rien, et en admettant qu'elle ait pris cette résolution, ça n'a pas tenu longtemps. Elle enregistre un album solo, Christine Perfect, collection de chansons d'amour assez classiques qu'elle chante de sa voix rauque, reconnaissable entre toutes (un article de Gonzaï évoquait élégamment sa “voix de travelo”). Elle joue sur plusieurs albums du Fleetwood Mac période Peter Green, en tant qu'invitée, ses parties de clavier venant étoffer le son du groupe, et réalise le dessin de la pochette de Kiln House en 1970. La meuf qui sert à tout. D'autant qu'à cette époque, les membres du Mac vivaient en communauté dans une grande maison paumée dans la campagne anglaise ; on l'imagine aussi leur faire à manger, le ménage, soigner gueules de bois et descentes d'acide… (Je sais ce que c'est d'être la seule gonzesse dans un groupe de rock. Ce n'est pas que les garçons vous prennent pour la bonniche, non, ils ne réclament rien… C'est juste tellement désespérant de les voir ne rien foutre à part astiquer le manche de leur guitare – car ils sont des artistes, guère concernés par les contingences matérielles – qu'on finit par trouver plus simple de faire les choses à leur place. Au passage, notons que, lorsque Lindsey Buckingham et Stevie Nicks tiraient le diable par la queue avant d'intégrer Fleetwood Mac, l'autrice de “Rhiannon” cumulait les emplois de femme de ménage et de serveuse dans un bar pour rapporter l'argent à la maison, où son lascar passait ses journées à travailler sa technique guitaristique…)

Friends

C'est après le départ de Peter Green, qui a viré mystique, et de Jeremy Spencer, qui a quitté le groupe lors d'une tournée aux États-Unis pour rejoindre une secte (chez Fleetwood Mac, les guitaristes ont une fâcheuse tendance à partir dans des circonstances étranges, un peu comme les batteurs de Spinal Tap), que Christine intègre officiellement la formation.
Sur des albums un peu méconnus comme Future Games ou Bare Trees, alors que le groupe est dans le creux de la vague, ce sont ses belles compositions assez simples, intemporelles, faciles à écouter mais aux mélodies immédiatement accrocheuses, comme “Spare Me a Little of Your Love”, qui assurent au groupe un succès commercial suffisant pour ne pas être viré par la maison de disques. Ils changent environ dix-huit fois de guitaristes et chanteurs (j'exagère à peine), seule la section rythmique, qui donne son nom au groupe, reste stable – avec Christine. On ne peut la qualifier de leader – c'est officiellement le batteur Mick Fleetwood qui tient ce rôle – mais c'est elle la principale chanteuse et compositrice, même si sur scène elle est toujours cachée derrière son piano et ses synthés. Le grand drame de tous les pianistes qui ont voulu occuper le devant de la scène, c'est qu'assis derrière un clavier, difficile de jouer les rock stars…
Le devant de la scène, pas sûr que Christine ait vraiment eu envie de l'occuper. Sans doute voulait-elle seulement faire de la bonne musique. En tout cas, lorsqu'après avoir traversé l'Atlantique pour tenter leur chance dans le pays qui a vu naître le blues, Fleetwood décide d'engager le guitariste Lindsay Buckingham ainsi que sa petite amie chanteuse, Stevie Nicks, il demande à Christine si ça la dérangerait qu'il y ait une autre fille dans le groupe. Pourquoi cette question ? Parce qu'apparemment, les meufs sont censées se détester entre elles, se battre comme des chiffonnières pour l'attention de la gent masculine. (C'est malheureux, mais ça fonctionne souvent comme ça. Un jour, un pote batteur dans un groupe qui venait de perdre son bassiste m'a proposé de les rejoindre, mais la chanteuse a refusé : elle ne voulait pas d'autre femme dans sa formation. Voilà voilà.) Mais Christine, elle, s'en fout. Au contraire, elle est contente d'avoir trouvé une copine. C'est le début d'une belle amitié qui durera jusqu'au décès de Christine.
Stevie a dix ans de moins qu'elle, maîtrise mal les instruments, est à peine capable d'aligner les quelques notes nécessaires à la composition de ses chansons (pourtant superbes) et est encore très sous-estimée au sein de Fleetwood Mac (cela changera quand ses singles “Rhiannon”, “Dreams” ou “Sara” auront rapporté des millions). Christine la prend sous son aile, la présente sur scène, demandant au public de l'accueillir, la pousse à composer davantage, la défend, au besoin, contre les accès de colère de Buckingham… D'ailleurs le guitariste, qui révèle vite un tempérament de control freak et une tendance à traiter les autres musiciens comme de la merde, ne se hasarde pas à contredire Christine lorsqu'il est question de la justesse d'une harmonie, ou d'une idée d'arrangement. La dame avait beau être très drôle et généreuse, fallait pas non plus la faire chier. Elle était capable de balancer son verre de chardonnay à la gueule d'un type qui lui avait mal parlé, et sa trop grande franchise aurait provoqué la rancune de certains techniciens ou ingénieurs du son. En tout cas, pas du chef éclairagiste Curry Grant avec lequel elle vivait une histoire d'amour contrariée par John, l'ex-mari jaloux, qui ne supportait pas de le voir traîner dans les pattes du groupe (et surtout de Christine). Il lui manquait, elle lui a écrit “You Make Lovin' Fun” – une des seules chansons d'amour positives que je connaisse : d'habitude, on compose quand on a le cœur brisé. Là, la pianiste clame son bonheur, disant qu'elle n'a jamais cru aux contes de fées mais commence à se demander pourquoi, tant Curry est merveilleux – bon, ça n'a pas duré vu qu'ensuite elle a été en couple avec Dennis Wilson des Beach Boys, mais la chanson est là, et elle donne le smile. Ceci dit, elle ne l'a pas donné à John, contraint de poser sa ligne de basse sur un morceau clamant le bonheur de son ex-femme avec un autre homme. Pour éviter de le blesser, Christine avait d'abord prétendu que cette chanson parlait de son chien, Duster (nommé ainsi car ses poils évoquaient un balai à franges). Mais, à la fin de la journée, l'infortuné bassiste a fini par comprendre, et aller se saouler dans un coin. Un ami me rappelait cette anecdote l'autre jour, qualifiant Christine de “cruelle”. Elle aurait donc dû se dispenser de publier une bonne chanson ? Ben merde alors. Et n'oublions pas que John a eu “Don't Stop”. Et que la chanson parlait du chien…

Little Big Lies

Il a des tas d'anecdotes qui rendent Christine attachante, et me font regretter de n'avoir jamais eu l'occasion de boire un coup avec elle. Il y en a trop : le fait qu'elle ait utilisé ses millions de dollars pour faire construire la réplique d'un pub anglais au rez-de-chaussée de sa villa de Los Angeles ; qu'elle ait fait un poisson d'avril à sa maison de disques en leur disant qu'elle ne pouvait plus travailler avec son ex-mari et qu'en conséquence, l'album Rumours, qui devait cartonner, ne verrait jamais le jour ; qu'elle ait été la seule du groupe à passer des savons monstrueux à Buckingham lorsqu'il tentait de lever la main (ou la manche de guitare) sur Stevie ; l'improbable et hilarant clip de “Love Will Show Us How”… Mais cet article est déjà trop long et si je tarde encore à le publier, une autre icône du rock sera morte entre-temps.
Si vous avez réussi à me lire jusque-là et que vous ne connaissez pas la discographie de Fleetwood Mac sur le bout des ongles, je tente de vous concocter mon Top 10, sans ordre particulier, des meilleures compos de cette grande dame qui vient de nous quitter. Des chansons qui, bien souvent, parlent de “crazy love”, “I'm crazy about you”, etc. Des mots simples et directs pour parler, encore et toujours, de la passion – ce sentiment que Christine et moi connaissons si bien, sans doute celui qui a fait écrire le plus de chansons dans toute l'histoire de l'humanité.

• Think About Me (Tusk)
• Spare Me a Little of Your Love (Bare Trees)
• Don't Stop (Rumours)
• Say That You Love Me (Fleetwood Mac)
• Little Lies
(Tango in the Night – la prod est atroce, mais quelle putain de chanson !)
• You Make Lonvin' Fun (Rumours)
• Songbird (Rumours)
• Over & Over (Tusk)
• Wish You Were Here (Mirage)
• Crazy About You Baby (Christine Perfect)

Merci, Christine, pour tous ces merveilleux morceaux. Je suis certaine qu'au paradis, il y a un pub anglais qui t'attend.