L'épopée de la cassette

“Pourquoi cherches-tu un label ?” C'est une question qu'on me pose régulièrement. Avec internet, il paraît aisé de commercialiser sa propre musique et de communiquer dessus, alors, pourquoi s'embarrasser d'une maison de disques ? Eh bien, parce qu'en vrai, sortir un disque autoproduit, c'est un peu comme d'être une femme libérée : pas si facile. Pour le prouver, j'ai tenu une sorte de “journal” de mes péripéties pour faire fabriquer une simple cassette.

Je suis écolo. Je trie mes déchets, fais mon compost, n'achète plus de produits d'entretien (ce qui m'épargne les tâches ménagères) et recycle les cadeaux nuls qu'on m'offre en les refourgant à d'autres gens. J'avais ces reprises enregistrées dans mon salon, sur GarageBand, à la guitare folk, pour les besoins de mon podcast. Je me suis dit qu'il était trop con de les laisser dormir dans l'ordi alors que je pouvais en faire un album.
Mais voilà : il s'agit de reprises. Et qui dit reprises, dit droits d'auteur à verser – ce qui est totalement normal quand on se fait de l'argent en les commercialisant. Sauf que je ne gagne rien avec ma musique. Mes ventes de disques n'ont même pas remboursé le coût de leur fabrication. Du coup, je me vois mal verser l'argent que je n'ai pas à, disons, Stevie Nicks ou les ayant-droits de Johnny Cash, qui doivent être assez loin d'être sur la paille. J'ai donc choisi de ne pas passer par le circuit “légal”, ce qui explique que vous ne trouverez pas cet album sur les sites de streaming – qui, de toute façon, ne m'ont jamais rapporté le moindre centime, mais remplissent les poches de mon distributeur numérique, en conséquence de quoi le streaming n'est pas trop ma tasse de thé. J'ai décidé de sortir cette collection de chansons de trains en cassette (j'expliquerai pourquoi plus bas). Je pensais que ce serait facile…

La chaîne lo-fi

Le premier fabricant de cassettes que j'ai contacté, par l'intermédiaire d'un ami, n'a pas daigné répondre à mes mails. Tranquilou Bilou, je suis juste en train de lui proposer des sous en échange de son travail, mais visiblement il a autre chose à foutre. Parfois, j'aimerais être riche et célèbre juste pour que les gens arrêtent de me donner l'impression d'être une pauvre merde. Par exemple, j'ai contacté une vingtaine de labels susceptibles de vouloir sortir mon troisième album ; UN SEUL a répondu (pour dire non). Les mecs sont tout le temps en train de tripoter leur téléphone, y compris quand ils discutent avec toi, mais prendre une minute pour répondre à un message, c'est comme si tu leur demandais de creuser les fondations d'une maison à mains nues.
Heureusement, par hasard, alors que j'achetais des bières artisanales car je suis une bobo de Montreuil, j'ai entendu parler d'un mec qui faisait ça, fabriquer des cassettes moyennant finances. Je l'ai donc contacté, il m'a annoncé ses tarifs… qui étaient assez exorbitants. Du coup, j'ai décidé de les faire moi-même, façon Daniel Johnston, avec jaquettes customisées à la main. Pour ce faire, j'achète une chaîne reconditionnée pour pas très cher sur internet à l'occasion du Black Friday : double cassette, CD, vinyle, USB… Elle arrive, je l'essaie, le son est tout cheap, ce n'est pas une chaîne hi-fi mais une chaîne lo-fi. Avant de la renvoyer pour remboursement, j'essaie tout de même d'enregistrer ma cassette. Je fais un mastering maison correct, l'exporte en haute qualité… pour m'apercevoir que la chaîne ne lit que le format mp3.
J'enregistre donc une cassette à partir d'un fichier mp3 – en temps réel, ça rappelle le bon temps, appuyer sur pause, puis simultanément sur play et record, les gestes me sont restés, faut croire que c'est comme le vélo. Vingt-cinq minutes plus tard, ma cassette est faite. Je rembobine pour écouter comment ça sonne : pas terrible. Matos de merde.
Je mets une cassette préenregistrée dans le second deck pour comparer le son ; j'ai choisi Sticky Fingers des Stones. Et ça sonne mille fois mieux que ma cassette de mp3 ! Quelle merde. D'ailleurs, ça sonne comme Sticky Fingers doit sonner. Ça sonne comme quand je l'écoutais sur mon radiocassette quand j'avais 15 ans. Il y avait si longtemps que je ne l'avais plus entendu comme ça ! Le CD sonne trop propre. Aujourd'hui, j'ai les larmes aux yeux en retrouvant le “Moonlight Mile” que j'ai toujours connu. Pour moi, il n'a jamais été aussi beau que comme ça, sur un appareil de mauvaise qualité. Du coup, je me demande si je ne vais pas garder la chaîne lo-fi, pour retrouver le son de mon adolescence. Je me demande aussi comment je vais faire ces foutues cassette de Train Songs, parce qu'elles, elles sonnent comme de la merde.

Mais POURQUOI une cassette ?

Je finis par lancer une commande de cassettes, même si c'est cher. J'en fais fabriquer 50, jetez-vous dessus, elles vaudront de l'or après ma mort – il n'y a qu'à regarder le prix où a été vendu le gilet qu'enfilait Kurt Cobain pour sortir les poubelles (ou jouer chez MTV, ce qui, pour lui, revenait à peu près au même).
“Mais… POURQUOI une cassette ?”
C'est ce que me demandent la plupart des gens, les yeux comme des soucoupes. C'est vrai, pourquoi pas des 78-tours ou des rouleaux de cire, pendant qu'on y est ?
Je vais tenter de répondre à cette interrogation bien légitime. Lorsque mon premier album est sorti en CD, beaucoup de gens m'ont dit : “Rhô j'ai plus de platine CD… T'aurais dû le sortir en vinyle, ça revient à la mode, puis c'est classe, la pochette retrouve tout son sens, etc. etc.” Du coup, le deuxième, je l'ai sorti en vinyle. Là, beaucoup de gens (certains étaient les mêmes) m'ont dit : “Rhô j'ai pas de platine vinyle…” Là, c'était pire, car en plus de cette excuse, ils avaient “j'ai pas de sac pour le mettre et il pleut et je suis à vélo”, ou “c'est trop cher” (12 euros, le prix de deux pintes, du coup je me dis que c'était une façon polie de me dire “j'en ai rien à secouer, de ta musique”, ce qui est leur droit le plus strict, remarquez). Sauf que faire presser des vinyles coûte bien plus cher que des CD, et qu'il faut les stocker chez soi, ce qui ne facilite pas les déménagements. Sans compter que le pressage a été compliqué et, je vous passe les détails des multiples coups de fil et échanges de mails, mon disque sonne, au final, moins bien en vinyle qu'en mp3 (eh oui !…). Pas grave, vu que les gens n'ont pas de platine, et donc l'écoutent en streaming (ou ne l'écoutent pas du tout).
Du coup, la cassette est le seul support physique que je n'ai pas encore tenté. Si ça se trouve, je vais en vendre… Non j'déconne, mais il ne s'agit pas d'un vrai album de Sylvia Hansel avec des morceaux de moi dedans, 0 % de matière grasse et du bifidus actif pour aller aux waters, c'est plutôt un exercice de style, des reprises de chansons que j'aime et qui parlent de trains. Du coup, j'avais pas envie de dépenser 2000 balles et toute mon énergie pour vous faire un vinyle que vous n'achèterez de toute façon pas car il pleut, vous n'avez pas de sac et vous êtes à vélo.
En plus, il paraît que le support cassette revient à la mode.
Et puis, j’ai passé mon enfance et mon adolescence à faire des cassettes. On n’avait pas de platine vinyle à la maison, et le lecteur CD est arrivé à Noël 1993, c’est dire s’il a pris sont temps. Mais j’avais un magnéto qui pouvait enregistrer ma voix et toute sorte de sons extérieurs ; à 4 ans, je savais le manipuler et avais déjà enregistré mes premières démos. À 6 ans j’avais un lot de 5 cassettes que je remplissais de chansons de la radio, et effaçais au fur et à mesure pour en mettre d’autres à la place. Je les ai toujours, mais il y a L7 et Hole dessus, à présent. J’aimais bien aussi enregistrer mes copines à leur insu, quand elles venaient chez moi, puis leur faire écouter la bande ; on rigolait comme des bossues. Bref, j’aime les cassettes. Profondément. Voilà pourquoi je vous en ai fait une.

Happy end

Après toutes ces péripéties, elle est enfin arrivée, et fleure bon la fabrication semi-artisanale (pas d'impression sur le plastique rose, il faut donc deviner quelle est la face A ou la face B…). Vous pouvez la commander sur mon Bandcamp, le téléchargement en mp3 est inclus pour les malheureux qui n'ont plus de lecteur cassette – ou pour les malheureux qui sont jeunes et n'ont connu que l'iPod et le streaming.