Blue Oyster Spiral

À la recherche de la fractale de l'adolescence perdue.

J'avais 14 ans quand j'ai acheté ce poster, au Leclerc. Je le trouvais classe et psychédélique. Je l'ai accroché sur le mur à côté de mon lit. À l'été 1995, en même temps que je découvrais Exile on Main St., mes yeux se perdaient dans le bleu, tentant de comprendre la logique de la fractale, de trouver la fin de l'infini. Ce poster avait un pouvoir hypnotique. Lisant des livres couchée sur mon lit, dans ma position préférée, mon regard était accroché par le poster. La fractale a été le paysage de toutes mes lectures, de mes peines de cœur (nombreuses, diverses et variées), de mes émois musicaux durant des années, jusqu'à mes 21 ans.
Là, en plein déménagement, j'ai décidé de laisser sur le mur du mec que je quittais le poster qui m'avait suivie jusque-là. Je devais avoir envie de dire "adieu l'enfance", comme le chante La Féline. Ou, comme souvent dans ces moments de frénésie que sont les déménagements, j'ai oublié de réfléchir et l'ai laissé là.
Un jour, repensant à ce poster, j'ai googlé son titre, Blue Oyster Spiral – la Spirale de l'huître bleue, c'était tellement étrange que je n'avais pu l'oublier. Revoir l'image anciennement familière m'a fait un choc. Je l'ai téléchargée et mise en fond d'écran, mais la définition est trop basse. Même toute pixellisée, moche, la fractale me procure cette drôle d'émotion, nostalgie, douce familiarité, elle me rassure, comme d'entendre "Moonlight Mile" sur cassette.
Voir tous les jours ce fond d'écran flou a fait grandir en moi cette obsession : retrouver le poster. J'ai même été jusqu'à recontacter mon ex pour savoir si, par hasard, il l'avait gardé – ce qui n'était évidemment pas le cas. Souvenez-vous de l'ex que vous avez largué.e en 2001 : auriez-vous envie d'avoir une conversation avec ? C'est dire comme était forte ma volonté de récupérer ma fractale.
Une recherche approfondie sur le net m'a permis de commander un nouveau poster, directement imprimé par son créateur (et non par l'éditeur de posters du Leclerc). Je l'ai longtemps attendu, il est arrivé des États-Unis via air mail, j'ai ouvert le tube et… déception. Trop de vert dans leur balance des couleurs, l'image n'est plus du tout la même que celle de mon adolescence. La définition n'est pas géniale non plus, on ne peut plus voir les toutes petites spirales à l'intérieur de la grande spirale, mise en abyme vers l'infiniment petit. Bref, le nouveau poster est dégueulasse, et j'ai raté ma tentative de mise en abyme vers ma jeunesse.
Les nouvelles technologies permettent beaucoup de choses, mais pas de retrouver les couleurs de son adolescence.